Friday, March 11, 2011

Il ne faut pas que l’approche sécuritaire empiète sur les libertés

Interview Al Bayane 

Pour Youssef Belal, professeur de sociologie politique et de relations internationales, président du Conseil consultatif pour les affaires économiques, sociales et culturelles du PPS et membre du Centre d’études et de recherches Aziz Belal, l’approche sécuritaire adoptée par le ministère de l’intérieur et les services compétents doit être plus rationnelle pour ne pas tomber dans les excès et les dépassements. Aussi, selon Belal, le PJD a pris la latitude et l’habitude de dénoncer l’approche sécuritaire du ministère de tutelle.

Al Bayane: Dans la séance des questions orales au parlement mercredi dernier, le Parti Justice et Développement (PJD) a mis clairement en doute la manière de travailler des services de sécurité dans le pays, ce qui a soulevé une vive réaction du ministre de l’Intérieur, Taieb Cherkaoui. Que pouvez-vous nous dire à ce propos ?

Y. Belal : Je pense que le PJD a probablement raison. L’AMDH et d’autres organisations de défense des droits humains ont également jeté la lumière sur les abus. Aujourd’hui, le ministère de l’Intérieur échappe à tout contrôle que ce soit de la part du Premier ministre ou bien de la majorité gouvernementale. Le Parlement mais aussi la société civile doivent pouvoir contrôler l’action de ce ministère.

Al Bayane - Le Maroc se dit prêt en permanence à faire face à tout dépassement de la part des hors la loi qui entravent sérieusement le climat de sécurité dans lequel vit le Maroc. Selon vous, comment cette approche peut-elle se faire sans pour autant tomber dans les excès et les abus de la part des services de sécurité ?

Y. Belal : Effectivement ! il ne faut en aucun cas que l’approche sécuritaire empiète sur les libertés individuelles et collectives des Marocains. On relève plusieurs cas d’abus et des situations où les libertés et les droits humains sont bafoués. Le ministère de l’Intérieur devrait plutôt garantir ces libertés.

Al Bayane - Certains ne comprennent pas ce qu’ils appellent « l’acharnement » du PJD sur les services de sécurité et pourquoi ce parti est si sceptique quant à l’approche sécuritaire adoptée par le ministère de l’intérieur. Quel est votre avis ?

Y. Belal : Le ministère de l’Intérieur ne fait pas toujours preuve d’impartialité à l’égard du PJD mais aussi d’autres organisations politiques ou de la société civile. Assurer la sécurité des citoyens est un droit humain fondamental. Néanmoins, cela doit se faire dans le strict respect des libertés fondamentales et personne ne peut admettre les dépassements et les abus qui nous feraient penser et revenir à des temps révolus.

Écrit par réalisé par : Mohcine Lourhzal 

Le PAM a des difficultés à constituer un pôle de droite cohérent

Interview Aujourd'hui le Maroc, le 16 - 10 - 2009

Youssef Belal estime que le PAM a du mal à rassembler les partis de la droite dans un pôle uni. Il affirme, en outre, que la rationalisation de la vie politique accuse du retard.

ALM : Quelle analyse faites-vous de l'élection de Cheikh Biadillah à la tête de la Chambre des conseillers?

Youssef Belal : Je pense que la victoire de Mohamed Cheikh Biadillah est une victoire en demi-teinte. Cette victoire s'inscrit dans le cadre de la continuité des résultats positifs obtenus par le PAM depuis les élections communales du 12 juin. Mais il faut tout de même garder à l'esprit que l'élection du secrétaire général du PAM à la tête de la deuxième Chambre a eu lieu dans le deuxième tour de l'opération électorale et ce à cause de la concurrence du candidat du RNI, Maâti Benkaddour. Ce qui veut dire que le PAM n'a finalement n'a pas réussi à rallier le RNI.

ALM: Quelle lecture faites-vous de ce constat?

Youssef Belal : Je dirais que le PAM a des difficultés à constituer un pôle de droite qui soit cohérent. Le PAM n'a pas réussi à rallier le RNI de son côté, même s'il est très proche de lui étant donné que ces deux partis partagent la même idéologie et ont une composition sociologique similaire. Le RNI affirme son autonomie et ne veut pas être absorbé purement et simplement par le PAM.

ALM: Quel est l'impact de l'élection du PAM à la tête de la Chambre des conseillers?

Youssef Belal : Certes, cette élection est en mesure de fragiliser davantage la majorité gouvernementale. Mais il faut que les choses soient placées dans leur contexte. Le poste de président de la deuxième Chambre est un poste protocolaire et de représentation.

ALM: Certains observateurs ont qualifié d'absurdité le fait que des partis de la majorité votent pour un membre de l'opposition. Qu'en dites-vous?

Youssef Belal : Actuellement, les frontières entre la majorité et l'opposition ne sont pas clairement définies. C'est un jeu à géométrie variable qui dépend des négociations entre les partis politiques. L'exemple le plus typique de ce constat est l'attitude du Mouvement populaire (MP), avec son va-et-vient entre les deux camps. Ce parti faisait récemment partie de la majorité puis il a rejoint l'opposition. Peu de temps après, il a soutenu le gouvernement Abbas El Fassi après le retrait du PAM de la majorité et on le voit aujourd'hui soutenir la candidature d'un membre de l'opposition à la présidence de la Chambre Haute.

ALM: Justement, comment expliquez-vous cette attitude du MP ?

Youssef Belal : La position du Mouvement populaire est loin d'être une position de principe. On y voit surtout beaucoup d'opportunisme et d'incohérence politique. Il y a dans cette attitude, comme cela a été affirmé par certains observateurs, une sorte d'absurdité et d'incohérence. Ce qui montre, à bien des égards, que la rationalisation de la vie politique accuse du retard. On est encore loin d'une politique qui soit au service de l'intérêt général.

ALM: Certains disent que le PAM arrive toujours à obtenir ce qu'il veut. Cela est-il vrai?

Youssef Belal : Non c'est faux. Le PAM n'arrive pas toujours à avoir ce qu'il désire obtenir. La preuve en est que ce parti n'arrive toujours pas à constituer un pôle de droite qui soit capable de mettre en place une majorité homogène et cohérente. Et qu'il trouve souvent des difficultés à entamer des alliances avec d'autres formations politiques.

ALM: Mais comment peut-on expliquer le fait que le PAM est arrivé à remporter toutes les échéances électorales qui ont eu lieu au lendemain de sa création?

Youssef Belal : Il ne faut pas perdre de vue un élément très important. Le PAM est aux yeux de tout le monde le parti créé par l'ami du Roi. En économie, on parle du concept des anticipations auto-réalisatrices. C'est lorsque des personnes font des paris sur l'avenir, par exemple en Bourse

Par Mohamed Aswab

La lutte contre la pauvreté ne peut se suffire de palliatifs



Interview Al Bayane:

Al Bayane - le premier ministre Abbas El Fassi a affirmé que le gouvernement a réalisé des avancées importantes dans le domaine social à savoir : l'enseignement, la santé et l'habitat et surtout la lutte contre la pauvreté dans notre pays. Comment voyez-vous les réalisations du gouvernement dans ces secteurs ?

Y.Belal : La lutte contre la pauvreté ne peut se suffire de palliatifs. Le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté reste la création d'emplois et la redistribution des richesses grâce à une croissance forte et durable. Or le taux de croissance que nous avons connu n'est pas durable et reste encore tributaire de la pluviométrie et de l'agriculture. Par ailleurs, l'absence de services publics dans les zones rurales pauvres et enclavées maintient de larges couches de la population marocaine dans la pauvreté. L'Etat doit investir massivement en infrastructures et en services publics dans les contrées les plus déshéritées.

Al Bayane- Le premier ministre a déclaré que le gouvernement a réussi à réaliser une amélioration du pouvoir d’achat et des revenus des citoyens. Par contre, beaucoup de Marocains affirment que les plans sociaux élaborés par l'Etat, ne contribuent qu’à élargir encore plus le fossé entre pauvres et riches. Ne pensez-vous pas que les riches sont devenus de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres ?

Y.Belal: De nombreux projets d'investissement servent des intérêts rentiers qui ont été à l'origine de la bulle spéculative dans le secteur de l'immobilier. Ces projets font l'objet d'une sur communication politique et ne sont pas suffisamment articulés à la création d'emplois et à la lutte contre la pauvreté. Ces projets ne sont pas orientés vers les régions pauvres et enclavées du monde rural. En outre, il n'existe pas de véritable politique de redistribution des richesses en faveur des plus pauvres. Ce qui aggrave encore plus les inégalités sociales

Al Bayane- L'habitat insalubre constitue une des priorités du gouvernement. Ce grand chantier est inspiré de la volonté du Roi Mohammed VI. Comment le gouvernement pourra-t-il, selon vous, éradiquer définitivement le fléau des bidonvilles ?

Y.Belal: La lutte contre les bidonvilles n'est pas une fin en soi et renvoie en réalité au problème de l'exode rural et de la ségrégation socio-spatiale. Reloger une famille de 8 personnes dans un appartement de deux pièces de 50 m2 dans des quartiers sans âme, sans espace vert, sans aire de jeux ni terrain de sport, sans maisons de jeunesse, sans bibliothèque, en un mot sans espace d'épanouissement culturel et social, ne résout pas le problème de la ségrégation socio-spatiale et de l'exclusion.

Al Bayane- Le taux de chômage a grimpé à 10 % dernièrement. Comment le gouvernement pourra t-il faire face à ce problème qui bloque tout développement de la société marocaine dans tous les domaines?

Y.Belal: Le marché du travail doit être en mesure de créer suffisamment d'emplois pour les nouveaux arrivants (jeunes diplômés, jeunes déscolarisés) et les chômeurs de longue durée. Une croissance élevée et durable est une condition nécessaire pour la création d'emplois. Il faut asseoir des réformes structurelles à vocation transformationnelle en engageant par exemple une véritable politique industrielle qui ne se contente pas d'une économie de sous-traitance et des centres d'appel.

Écrit par Entretien réalisé par : Mohcine Lourhzal 

L’équation régime autoritaire et développement économique ne marche pas


Interview avec Aujourd'hui Le Maroc - 11-01-2011

Youssef Belal affirme que le Maghreb uni est la seule porte de sortie du sous-développement économique que connaît la région.

ALM : Quelle analyse faites-vous des troubles sociaux en Tunisie ?

Youssef Belal : Certes, la Tunisie connaît un développement économique très en avance par rapport à d’autres pays du Maghreb. Mais, le problème c’est qu’il y a beaucoup de citoyens tunisiens qui sont exclus de ce développement au niveau de plusieurs régions du pays. Aussi, la question qui se pose est celle de savoir pourquoi la représentation politique des mouvements de protestation ne se reconnaît pas et ne se retrouve pas dans des mécanismes politiques étatiques? Pourquoi ces jeunes émeutiers n’ont pas exprimé leurs revendications autrement, c’est-à-dire à travers les instances étatiques? C’est la problématique de la représentation démocratique crédible des citoyens. Et c’est la raison qui explique ce blocage, étant donné que le régime tunisien est probablement l’un des régimes les plus autoritaires. C’est là où résident la faille et la limite de ce système. En effet, l’équation régime autoritaire et développement économique même très avancé ne marche pas. C’est le cas également en Chine. La rupture des liens sociaux dans ces deux pays provient du fait de l’absence de la représentation démocratique de la population.

ALM: Quelle est la solution face à cette situation de blocage ?

Youssef Belal: Le recours à des actes extrêmes repose sur une demande de représentation politique crédible du peuple. La capacité de l’Etat tunisien de produire des richesses est énorme, mais le caractère autoritaire du régime fait que la distribution de ces richesses ne se fait pas équitablement. Face à cette situation, le citoyen mécontent ne disposant pas de députés, ni de partis politiques, estimant que sa voix n’est pas entendue et ses intérêts ne sont pas pris en considération, va recourir à des moyens violents pour se faire entendre. Il faut qu’il y ait un espace de débat politique démocratique à même de servir de canal d’évacuation des tensions pour éviter que les manifestants descendent dans les rues.

ALM: Quel est le lien entre ce qui se passe en Tunisie et les émeutes en Algérie?

Youssef Belal : Bien qu’il y ait une similarité entre les deux cas, l’Algérie a ses propres particularités. La Tunisie a des bases plus solides de développement économique alors que l’Algérie est un Etat rentier. Son économie est basée sur les rentes du pétrole et du gaz naturel. En plus, le citoyen algérien voit que la manne financière importante qui résulte de cette rente est mal gérée. Soit qu’elle est dépensée impertinemment, soit qu’elle est détournée profitant à une caste dirigeante. Le peuple voit, ainsi, que tout cet argent ne profite pas au développement socio-économique, d’où le recours aux moyens extrêmes pour dénoncer cette situation.

ALM: Pensez-vous que l’édification de l’UMA serait en mesure de résorber ce genre de tensions sociales?

Youssef Belal : De manière globale, la construction maghrébine est notre seule porte de sortie du sous-développement économique. C’est indéniable. L’exemple le plus typique est celui de l’Union européenne qui, disposant d’un pouvoir supranational, affecte une partie des richesses produite par les Etats de l’Union aux régions les plus nécessiteuses pour déboucher sur un développement global équilibré. Mais, il ne faut pas mettre la charrue devant les bœufs. C’est l’absence de démocratie dans la région qui gèle ce projet prometteur. Il faut donc que nous ayons des régimes démocratiques, car ce type d’union à caractère supranational va limiter la souveraineté des Etats. Il est temps que l’instrumentalisation du nationalisme prend fin. Il faut qu’il y ait une évolution vers une perspective démocratique post-nationaliste.

Par : Mohamed Aswab

Quel avenir pour la monarchie marocaine ?

Article paru dans Le Monde:

Point de vue
Le Maroc partage les mêmes maux que les autres régimes arabes
LEMONDE.FR | 08.03.11 | 15h59

Intervenus à la suite des révoltes populaires, la chute du régime Ben Ali en Tunisie et la fin de l'ère Moubarak en Egypte ont jeté la lumière sur deux maux des despotes du monde arabe : la cupidité et l'autoritarisme. Le calme relatif dans lequel se sont déroulées les manifestations pacifiques du 20 février et la stabilité qui prévaut au Maroc semblent accréditer la thèse d'une "exception" marocaine. En réalité, la monarchie marocaine partage les mêmes maux que les autres régimes arabes.

Sous Hassan II comme sous Mohammed VI, la fortune de la famille royale a été accumulée dans des conditions loin d'être irréprochables. Présente dans les principaux secteurs (banque, industrie, télécommunications, immobilier), la holding royale ne fait l'objet d'aucun contrôle, et joue de son inscription au cœur du pouvoir pour bénéficier de passe-droits et d'un accès douteux aux marchés publics. Est-il concevable que l'actuel ministre de la justice du gouvernement marocain soit aussi l'avocat personnel du roi, en charge de ses litiges financiers et commerciaux ? Comme l'ont noté les câbles diplomatiques révélés par le site Internet WikiLeaks, le palais et ses serviteurs utilisent les institutions étatiques pour exiger des "rétributions" auprès des milieux d'affaires nationaux et étrangers.

Sur le plan politique, Mohammed VI a maintenu le régime de concentration des pouvoirs dont il a hérité de Hassan II. Alors que le roi règne et gouverne, il n'existe aucun contre-pouvoir institutionnel en mesure de limiter les décisions arbitraires. En s'appuyant sur une légitimité religieuse dévoyée, la monarchie neutralise toute critique dirigée contre l'action du roi. En interdisant toute critique du roi alors qu'il détient le pouvoir suprême, et en refusant toute redistribution des pouvoirs au profit du gouvernement issu des urnes et responsable devant les citoyens-électeurs, le système monarchique accroît les contraintes qui pèsent sur lui.

UN NOUVEAU CONTRAT POLITIQUE

Pourtant, la monarchie ne peut pas continuer à engranger indéfiniment les bénéfices de la sacralité et du patrimonialisme. Si le roi Mohammed VI entend être "moderne", c'est en acceptant de renoncer à l'exercice réel du pouvoir exécutif. Il n'est pas trop tard pour que la monarchie accompagne la transition démocratique en amorçant son propre dessaisissement du pouvoir temporel. Dans le cadre d'une future démocratie représentative, il est tout à fait concevable que la monarchie se consacre à sa fonction religieuse, à l'exclusion de toute intervention dans les décisions gouvernementales. Pour assurer sa survie dans le monde moderne, la monarchie doit se tenir à l'écart des soubresauts des affaires profanes.

Afin que la démocratie représentative puisse voir le jour au Maroc, il est impératif que l'ensemble des acteurs politiques, en relation avec la société civile (syndicats, mouvements représentant les jeunes, les femmes, les Amazighs…), se mettent d'accord sur les perspectives d'avenir en formulant un nouveau contrat politique. La gauche (Parti du progrès et du socialisme, Union socialiste des forces populaires, Parti socialiste unifié), le mouvement islamique (Parti de la justice et du développement, organisation Justice et Bienfaisance), mais aussi les Sahraouis indépendantistes ouverts à des négociations avec un gouvernement marocain démocratique doivent assumer leur responsabilité politique envers les générations présentes et futures.