Friday, December 2, 2011

La gauche doit soutenir le prochain gouvernement dirigé par le PJD

Au mois de Ramadan 2011, au cours d’une conférence organisée par la Coalition pour la Monarchie Parlementaire Maintenant sur le thème “La gauche et le mouvement islamique: dialogue sur les libertés” à laquelle participait le Parti de la Justice et du Développement (PJD), j’avais défendu l’idée d’un rapprochement entre la gauche et le mouvement islamique en privilégiant une approche politique plutôt qu’idéologique. Cette lecture politique consiste à faire de la démocratisation de l’Etat la priorité qui conditionne l’ensemble de la stratégie de la gauche, notamment le choix des alliances. En adoptant cette perspective, le PJD peut constituer un allie majeur dans le combat démocratique. Aujourd’hui que le PJD est arrive très nettement en tète des élections législatives, il me semble une nouvelle fois nécessaire d’adopter une lecture politique de la nouvelle donne en défendant l’idée d’un soutien de la gauche au prochain gouvernement.
Le PJD a obtenu une victoire électorale qui constitue une rupture par rapport a la manière dont les élections étaient jusque-là perçus tant par les élites politiques que par les électeurs. Elle devrait d’ailleurs amener les partis politiques à comprendre que leur survie dépendra à l’avenir de l’électeur qui donne un sens politique à son vote et non de la proximité au Palais. Dans l’offre politique qui leur était soumise, les électeurs Marocains ont fait le meilleur choix. La signification du vote PJD est très proche de la signification du vote pour la gauche il y a trente ou quarante ans notamment sur les valeurs d’éthique et de probité.
Le PJD peut transformer son succès électoral en une légitimité politique forte face au Palais et autonomiser la sphère de décision institutionnelle du gouvernement par rapport a l’interventionnisme des conseillers et “amis” du roi. C’est aussi ce succès électoral qui renforcera le lien entre l’exercice du pouvoir et la responsabilité politique devant les électeurs. En s’alliant au PJD autour d’une orientation commune de démocratisation de l’Etat, la gauche peut contribuer à transformer les pratiques institutionnelles en faveur du gouvernement issu des urnes.
La gauche peut aussi s’entendre avec le PJD sur la base d’un programme commun de gouvernement en matière de lutte contre la corruption, de redistribution des ressources en faveur des couches les plus démunies, d’élargissement de l’accès aux services sociaux et d’égalité des chances.
Enfin, le prochain gouvernement doit se concevoir comme l’héritier du gouvernement Youssoufi, et tirer les leçons de cette expérience. Dans les deux cas, c’est la transformation de la relation entre Etat et société et la constitution d’un nouveau rapport de forces en faveur de cette derniére qui est en jeu. Le prochain gouvernement bénéficie d’atouts dont le gouvernement Youssoufi ne disposait pas, notamment l’existence d’un fort mouvement contestataire comme le Mouvement du 20 février qui peut constituer un allié sur les questions liées à la démocratisation et à la lutte contre la corruption. Il est évident que dans cette configuration la gauche n’aura pas le premier rôle mais elle pourra reprendre le cours d’un début de démocratisation commencé timidement par le gouvernement Youssoufi mais trop rapidement interrompu.

Friday, August 26, 2011

Compte-rendu du livre "Le cheikh et le calife" par le site lectures.revues.org

Youssef Belal est un jeune politologue qui enseigne à l’université de Rabat la sociologie politique et les relations internationales. Actuellement visiting scholar à l’université de Columbia, Youssef Belal est aussi le fils d’Aziz Belal, référence politique nationale du Parti du progrès et du socialisme (PPS) dont il est d’ailleurs un membre actif. Son ouvrage, issu de sa thèse en sciences politiques, est dédié à la mémoire de son père.

2L’auteur se propose de traiter de l’articulation du religieux et du politique dans le Maroc contemporain. Dès l’introduction, il critique différentes approches de chercheurs qui tendent à réduire les mouvements islamistes à une idéologie exclusivement politique. Pour Youssef Belal, le détour par l’islamologie est indispensable et il faut, à l’aide de la sociologie des religions, identifier la complexité des relations entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux. Ainsi, l’auteur s’intéresse aux modalités de la construction identitaire en terre d’islam et une fois le religieux identifié, il « convient de voir au-delà » car la religion produit un ordre communautaire spécifique qu’il s’agit d’étudier. Il rappelle dès l’introduction que la salafiyya (mouvement sunnite de renaissance de la pensée musulmane, prônant une relecture théologique et philosophique du Coran) des années 1930 a été un mouvement de réforme à la fois politique et religieux. En 1953, la république laïque française justifie la déposition de Mohammed V en avançant des motifs religieux, alors que la salafiyya la dénonce d’un point de vue politique. La lutte pour le pouvoir, au lendemain de l’indépendance, entre la monarchie et la gauche (dont les membres ont été éduqués par la salafiyya) témoigne de l’utilisation et de l’instrumentalisation par ces deux partis, des registres politique et religieux. La Marche verte de 1975 était aussi l’expression de l’unité de la nation autour du roi, marche qui a rassemblé les partis du mouvement national autour du souverain. L’islam se prête donc à des usages multiples et contradictoires et il n’est pas possible d’en déduire un rapport unique au politique.

3L’enjeu de cette étude est bien de comprendre les articulations diverses et complexes entre le religieux et le politique, la manière dont la religion organise sa relation au savoir profane. À l’aide du vocabulaire de la sociologie religieuse et, notamment, le recours à des concepts wébériens (entrepreneurs de salut, prédication, secte, ascèse intramondaine), le politologue étudie les deux mouvements islamistes les plus importants au Maroc : la Jamâ‘a (Communauté pour la justice et l’élévation spirituelle) et al-Tawhîd wa-l-Islâh (Mouvement pour l’unicité et la réforme ou MUR), mouvements qui distinguent la sphère religieuse et la sphère politique.

4L’ouvrage, dense et parfaitement documenté, se compose de cinq chapitres. Après l’introduction, l’auteur commence par une synthèse historique et étudie la pluralité des usages de la religion durant le protectorat (avec l’instrumentalisation de l’islam par le gouvernement français) puis le Maroc indépendant, avant de parler du Maroc contemporain (chapitre 1 : « Islam, protectorat et nationalisme » ; chapitre 2 : « Monarchie religieuse »). Youssef Belal a fait moins d’un an de terrain, mais ce n’est pas le terrain et la manière dont il le fait parler qui constitue la force de l’ouvrage. C’est plutôt l’utilisation des sources et la qualité des analyses présentées qui donnent toute sa profondeur à cette étude ambitieuse qui souhaite, en intégrant la sociologie religieuse à l’analyse, témoigner du changement social et donc, de la transformation de l’islam qui assure par là même sa permanence dans la société marocaine.

5Le chapitre sur la monarchie aurait peut-être gagné à être étoffé par des études ethnologiques sur la symbolique religieuse et la monarchie sacrée dans d’autres contextes, la manipulation des symboles religieux dans l’espace public n’étant pas une spécificité des mouvements islamiques, comme le rappelle d’ailleurs l’auteur. Le roi comme guide, comme commandeur des croyants, qu’on ne saurait critiquer sous peine de s’en prendre aux fondements même de l’islam, témoigne de l’alliance entre le politique et le religieux et de l’instrumentalisation du langage religieux à des fins politiques. Le religieux apporte l’unité et une identité aux Marocains à travers une monarchie d’essence religieuse.

6Dans le chapitre suivant, l’auteur s’intéresse à la mystique soufie et à la communauté émotionnelle d’Abdelassalam Yassine, le cheikh de la Jamâ‘a, un mystique rebelle. Yassine est décrit comme un médiateur religieux et politique qui sera plusieurs fois condamné. Sa célèbre « lettre au roi » envoyée en 1973 à Hassan II, à qui il demande de devenir un « bon musulman » tout en lui faisant de multiples remontrances, lui vaudra trois ans d’enfermement dans un hôpital psychiatrique. Dans la communauté de Yassine, l’allégeance au guide est primordiale pour se rapprocher de Dieu et percer ainsi les mystères du monde. L’autorité du maître est première, seule légitime. Le rapport avec la politique est particulier : le refus de participer aux élections législatives témoigne de l’isolement de la Jamâ‘a, qui devient, en 1987, Al-‘adl wal-Ihsân (Justice et Bienfaisance). Cette dernière n’est pas reconnue légalement par l’État marocain, mais seulement tolérée. Au sein du MUR, héritier de la salafiyya des années 1930, dont le PJD (Parti de la justice et du développement, deuxième parti politique du Maroc) est une émanation, les membres n’accordent pas d’importance au mystère dans leur vie car pour eux, le réel est rationnel. Ils ne croient pas, contrairement au mouvement précédent, à l’existence d’êtres exceptionnels. Dans les deux cas, l’auteur distingue une éducation à la vertu et à la moralité religieuse et l’utilisation d’une ascèse intramondaine. Ces mouvements cherchent à organiser l’espace public en conformité avec leurs valeurs religieuses et ont utilisé le langage théologique pour la réforme du Code de statut personnel.

7Dans le Maroc contemporain traversé par de multiples tensions entre politique et religieux, entre soubresauts démocratiques et conservatisme, voire autoritarisme, l’auteur qualifie le règne de Mohammed VI de « (néo)autoritarisme “doux” » et note que sa reconnaissance officielle passe par le rappel de sa qualité de Amîr al-Mu’minîn, commandeur des croyants. Il analyse ainsi le pouvoir monarchique marocain et ses caractéristiques (concentration des pouvoirs, sacralisation du roi, absence de contre-pouvoir institutionnel) et la démocratie qu’il ne pense pas être incompatible avec l’islam. Démocratie représentative pour laquelle l’auteur milite, qui ne pourra être effective qu’après une réorganisation du partage des pouvoirs. Les réformes ne pourront être appliquées que si tous les acteurs politiques, sans oublier le roi, unissent leur force dans une volonté commune de changement. À l’heure des révoltes dans le monde arabe, ce changement est d’autant plus attendu.

8Cet ouvrage intéressera à la fois les politologues et les sociologues des religions, ainsi que tous ceux qui s’intéressent à l’islam et à la situation politique et religieuse du Maroc contemporain.

http://lectures.revues.org/6171#references

Thursday, August 18, 2011

اليسار والحركة الإسلامية : نقاش حول الحريات والديمقراطية

اليسار والحركة الإسلامية : نقاش حول
الحريات والديمقراطية


جمعت حركة 20 فبراير إلى جانب ناشطين ينتمون إلى حساسيات مختلفة مناضلات ومناضلين من اليسار والحركة الإسلامية. اتضح من خلال هذا الحراك أن الاحتجاجات الجماعية ضد الاستبداد ممكنة. يعزى هذا إلى كون احتجاجات حركة 20 فبراير هي ذو طابع سياسي (وضع حد الاستبداد، انشاء الديمقراطية) وليس اديولوجي. من أهم الدروس التي يمكن استخلاصها من الحراك السياسي منذ 20 فبراير أن التقارب السياسي حول أهداف مشتركة رغم الخلافات الاديولوجية ممكن. لكن هذا المعطى الجديد لم يتم تنظيره أو نقاشه في الفضاء العام لحد الآن.

إن توحيد مجهودات الديمقراطيين المنحدرين من اليسار والحركة الإسلامية قد يشكل مكسبا هاما للمعركة من اجل الديمقراطية ويسمح بتجاوز تفرقة القوى الحية التي يستغلها النظام.
إلا أن فرضية هذا التقارب تخلق حاليا جدالا، بينما هي تقتضي نقاشا عقلانيا وصريحا حول القضايا المثيرة للجدل. هذا النقاش يتطلب توضيحات وإنصات من الطرفين.
وفي تونس مثلا، أفضى هذا النقاش إلى خلق هيئة 18 أكتوبر التي جمعت بين اليسار والحركة الإسلامية مؤدية بالطرفين إلى الالتزام باحترام الإعلان عن الحقوق والحريات.

تنظيم هذه الندوة ينطلق من قناعة انه لا يمكن للانتقال الديمقراطي ان ينجح دون اتفاق القوى الحية، بالخصوص اليسار والحركة الإسلامية، حول قواعد النظام الديمقراطي واحترام الحريات الجماعية والفردية.

وتشكل هذه الندوة امتدادا للندوة التي نظمت حول موضوع " 20 فبراير- فاتح يوليوز: أية آفاق للنضال الديمقراطي؟ " والتي عبر من خلالها العديد من المشتركين المنتمين إلى اليسار والحركة الإسلامية عن رغبتهم في توحيد الصفوف فيما يتعلق بالمعركة من اجل الديمقراطية والشروع في حوار بناء حول النقط المتعلقة بالحريات والقواعد الديمقراطية.

الشروع في هذا النقاش بين اليسار والحركة الإسلامية يمكن أن يأخذ شكل الجواب عن الأسئلة التالية:
• ماهي مواقف اليسار والحركة السلامية في مجال الحريات الفردية، خصوصا حرية المعتقد والرأي؟
• هل يمكن لتنوع الممارسات الدينية وغير الدينية أن يكون معترفا به وأن يحترم في مجتمع ذو أغلبية مسلمة؟
• هل اليسار والحركة الإسلامية يتقاسمان نفس التصور حول الديمقراطية المبنية على التناوب عن السلطة واحترام الخصوم.
• ماهي الشروط التي من دونها لا يمكن التفكير في تنسيق العمل السياسي لليسار والحركة الإسلامية على المدى القريب والمتوسط.
• هل يمكن في مرحلة لاحقة التفكير في تهيئ ميثاق للديمقراطية والحريات يؤسس للتقارب بين اليسار والحركة الإسلامية، ويلزم كل طرف باحترامه.

مع أن المشاركين سوف يعبرون عن آراء قريبة من مواقف اليسار والحركة الإسلامية، الا أنهم لن يتكلموا باسم المنظمات التي ينتمون إليها. سوف تسمح هذه المقاربة بتنظيم نقاش مفتوح.



Wednesday, August 17, 2011

La gauche et le mouvement islamique : débat sur les libertés et la démocratie


Note de présentation pour la conférence

La gauche et le mouvement islamique : débat sur les libertés et la démocratie

Aux côtés d’activistes appartenant à d’autres sensibilités, le mouvement du 20 février a rassemblé des  militants se réclamant de la gauche comme du mouvement islamique. Ce moment a montré que des actions collectives de contestation de l’autoritarisme étaient possibles. Cela s’explique notamment par le fait que les contestations enclenchées par le mouvement du 20 février étaient de nature politique (la fin du despotisme, l’instauration de la democratie) et non idéologiques. Une des principales leçons à tirer de la mobilisation déployée depuis le 20 février est donc qu’au-delà des divergences idéologiques, un rapprochement politique sur des objectifs communs est réalisable. Toutefois, ce rapprochement dans les faits n’a pas été encore sérieusement pensé ni débattu dans l’espace public.  Une conjugaison des efforts des démocrates de la gauche et du mouvement islamique dans la durée serait un atout majeur pour le combat démocratique. Un rapprochement entre la gauche et le mouvement islamique permettrait d’unifier les efforts des militants démocrates et de dépasser la segmentation des forces vives entretenue par le régime.

Cependant, l‘hypothèse d’un tel rapprochement fait débat. La réflexion autour de cette configuration éventuelle n’est envisageable qu’à la condition d’entamer un débat serein et franc sur certaines questions qui suscitent parfois la polémique et demandent tant des clarifications que de l’écoute de part et d’autre. C’est ce débat qui a permis d’aboutir à la création en 2005 du Collectif du 18 octobre en Tunisie réunissant la gauche et le mouvement islamique et la déclaration sur les droits et les libertés qui s’en est suivie.

Cette conférence part du postulat qu’il ne peut y avoir de passage à la démocratie sans que les forces vives du Maroc, notamment la gauche et le mouvement islamique, s’accordent sur les règles du jeu démocratique, et le respect des libertés collectives et individuelles. Elle fait suite à la conférence organisée sur le thème « 20 février, 1er juillet : quelles perspectives pour la lutte démocratique ? » et au cours de laquelle plusieurs participants appartenant tant à la gauche qu’au mouvement islamique ont fait part de leur volonté d’unir leurs efforts dans le combat pour la democratie et d’entamer un dialogue serein, notamment autour des questions liées au respect des libertés et des règles démocratiques.  

L’amorce du débat entre la gauche et le mouvement islamique peut consister dans un premier temps à répondre aux questions suivantes:

Quelles sont les conceptions du mouvement islamique et de la gauche en matière de libertés individuelles, notamment la liberté de conscience, d’opinion et de croyance ?

La pluralité des pratiques religieuses ou non religieuses peuvent-elles être reconnues et respectées dans une société majoritairement musulmane ? 

Dans quelle mesure le mouvement islamique et la gauche partagent une même conception de la democratie reposant sur une alternance au pouvoir et le respect de l’adversaire ?

Quelles sont pour la gauche et le mouvement islamique les conditions sans lesquelles il serait impossible d’envisager une coordination de leur action politique dans la durée ?

Au-delà des prises de position des acteurs, est-il possible d’imaginer dans une étape ultérieure l’élaboration d’une Charte de la democratie et des libertés qui jetterait les fondements d’un rapprochement entre la gauche et le mouvement islamique et que chacun s’engagerait à respecter ?

Tout en formulant un point de vue proche des prises de position de la gauche ou du mouvement islamique, les participants ne s’exprimeront pas au nom de leurs organisations politiques respectives. Une telle approche permettra d’obtenir le débat le plus ouvert possible.

Organisation de la conférence
Date : Mardi 16 aout a 21h30
Lieu : Club des Avocats, Rabat

Monday, August 1, 2011

20 février, 1er juillet... quelles perspectives pour la lutte démocratique ?

Mon propos sur les perspectives de la lutte démocratique après le 1er juillet peut se résumer de la manière suivante:
  • La stratégie des forces démocratiques doit aussi être une contre-stratégie face au pouvoir.
  • Les impasses et les contradictions de l’autoritarisme monarchique doivent être sérieusement exploitées par les forces démocratiques.
  • Un des principaux enjeux de l’action pour le passage à la démocratie est la question de la responsabilité politique du roi. On ne peut concevoir un passage a la démocratie en maintenant un “évitement” de la question de la responsabilité du roi.
  • Il ne peut y avoir de transition démocratique que dans la rupture et la crise. Une chute de l’autoritarisme dans le consensus est une illusion. Seule la crise permet de cristalliser à un moment donné les clivages politiques et de polariser les acteurs politiques autour de la démocratie. Le déclenchement de la crise par un ou plusieurs acteurs ayant fait le choix de la participation peut avoir un effet multiplicateur considérable.
  • Il convient de faire de la participation aux institutions un levier de la démocratisation et de la transformation des pratiques institutionnelles
  • Face à la segmentation par l’Etat, les forces vives doivent être en mesure d’imposer une dynamique d’alliances élargies. Ces alliances doivent transcender au moins deux types de clivages. Le premier clivage se situe autour du choix d’agir dans les institutions ou sous la forme de la contestation en dehors des institutions. Le deuxième clivage à dépasser est celui des différences idéologiques entre la gauche et le mouvement islamique. Le dépassement de ces deux clivages que l’Etat cherche à exploiter permettrait de construire une alliance politique pour la fin de l’autoritarisme.
1. Quelle est la strategie du pouvoir?

La réflexion sur les perspectives d’action démocratique doit nourrir la stratégie des forces démocratiques. Sa pertinence peut se mesurer notamment dans sa capacité à donner des “coups” à l’adversaire et à être également une contre-stratégie. Aussi, pour être en mesure d’offrir cette contre-stratégie, il est important d’avoir en tête la stratégie du pouvoir.
  • Chercher à clore la contestation visant l’autoritarisme monarchique en se donnant une légitimité plébiscitaire face à la contestation dans la rue. Le pouvoir croit donner un coup d’arrêt avec le score qui mettrait fin comme par miracle a la contestation,
  • Le texte constitutionnel n’est pas tant présenté pour réduire des déséquilibres institutionnels que réaffirmer l’omnipotence du roi et son irresponsabilité politique,
  • Segmenter les forces vives notamment en cherchant à discréditer le mouvement du 20 février avec les accusations d’instrumentalisation par Al ‘Adl wa Al Ihsan et Al-Nahj,
  • Transférer la contestation vers le prochain gouvernement et faire du gouvernement un bouclier pour la monarchie. La carte qui serait la plus appropriée pour la monarchie serait un gouvernement dirigé par le PJD ou du moins dans lequel il serait fortement présent. Le PJD pourrait jouer le même rôle que les partis de la gauche gouvernementale en 1998 en donnant à la monarchie un nouveau répit.
  • Tout cela doit permettre à la monarchie de gagner du temps et ne pas aller plus vite que les autres pays arabes. Le pays le plus avancé, à savoir la Tunisie, aura au moins besoin d’une année et demie à deux ans pour mettre en place les institutions démocratiques. Ce sursis permet à la monarchie de préserver une image réformiste sur la scène internationale.
2. Les impasses et les contradictions de l’autoritarisme monarchique doivent être sérieusement exploitées par les forces démocratiques:
  • Il ne peut y avoir de transition démocratique que dans la rupture et la crise. Seule la crise permet de cristalliser un moment donné les clivages politiques et de polariser les acteurs politiques autour de la démocratie. Il est évident qu’une transition démocratique ne se fait jamais par consensus car le principal acteur, à savoir la monarchie autoritaire et le makhzen, ont trop à perdre. Les autres acteurs dont les intérêts sont liés à l’autoritarisme monarchique feront tout pour faire avorter toute perspective de démocratisation. Le consensus est nécessaire dans un second temps une fois que les acteurs représentant les forces vives s’accordent sur les règles du jeu démocratique qui doit permettre la libre compétition des projets de société.
  • Un des principaux enjeux de l’action pour le passage à la démocratie est la question de la responsabilité politique du roi. Le roi reste l’acteur disposant des pouvoirs les plus étendus. Dans le système politique marocain, on ne dispose pas des mécanismes institutionnels de responsabilité politique et de reddition des comptes du roi. Dans ce contexte, les acteurs démocratiques doivent mettre en cause la responsabilité politique du roi et demander sa reddition des comptes pour des décisions qui seront prises par la monarchie sur les dossiers les plus importants pour le Maroc. Les slogans du mouvement du 20 février ont déjà commence à aller plus loin lors des dernières manifestations en visant directement le roi.
  •  Peut-on concevoir un passage à la démocratie en maintenant un “évitement” de la question de la responsabilité du roi? Cette stratégie a été celle de la gauche gouvernementale depuis 1998, et a consisté à dire: “investissons les postes de responsabilité, élargissons le champ de pouvoir du gouvernement issu des urnes mais ne parlons pas de la question du pouvoir monarchique”. Or on sait que cette stratégie n’a pas donné de résultats, et si avancée il y a eu en la matière, même timide avec la nouvelle constitution, c’est parce que, à la faveur du contexte régional, elle a été remise au cœur du débat politique par la contestation du mouvement du 20 février dans l’espace public. Surtout, depuis 2002, aucune stratégie de démocratisation des institutions reposant sur le levier gouvernemental et institutionnel n’a été déclinée par les partis de gauche, et aucune tentative de transformer les pratiques institutionnelles n’a été développée.
  • Qu’est-ce qui inciterait aujourd’hui les partis proches des forces vives et se projetant dans une participation aux institutions, à faire de cette participation un levier de la démocratisation et de la transformation des pratiques institutionnelles? C’est la survie politique et électorale qui inciterait ces partis à adopter cette strategie. Plusieurs partis se sont habitués à concevoir la politique uniquement comme une négociation avec le palais et ont négligé la responsabilité devant l’électorat et la société. Le recours aux notables durant les élections a accentué cet état de fait. Le changement proviendrait de l’émergence de nouveaux responsables porteurs de cette vision et de leur capacité à la faire partager au sein de leur parti. En parallèle à cela, la pression exercée par les mouvements contestataires dans l’espace public et l’émergence d’un nouvel électorat notamment des jeunes qui développeront de nouvelles pratiques de reddition des comptes aurait des effets transformateurs.
  • Bien que peu probable, il n’est pas impossible d’avoir demain un chef de gouvernement qui cherchera à imposer son leadership face au pouvoir royal dans une situation de crise où il sera amené à endosser la responsabilité politique et électorale des décisions royales. Cette situation permettrait d’avoir une pratique institutionnelle plus avancée. Dans une situation ou de contestations a répétition, et de détérioration des finances publiques répondant aux demandes sociales, le coût électoral et politique des contestations ne sera plus tolérable pour le parti ou la coalition au gouvernement. Dans ce cas, il n’est pas impossible que le chef de gouvernement refuse d’endosser la responsabilité politique des décisions prise par le Palais.
3. Face a la segmentation adoptée par l’Etat, les forces vives doivent etre en mesure d’imposer une dynamique d’alliances elargies. Ces alliances doivent transcender au moins deux types de clivages.
  • Le premier clivage relève du choix de participer ou non aux institutions. La mobilisation contestatrice dans l’espace public est indispensable car elle prend la place d’un mécanisme de contre-pouvoir citoyen face au pouvoir royal, aujourd’hui absent dans le système politique marocain. Toutefois, dans le contexte actuel, la contestation dans l’espace public ne peut aboutir à elle seule a la chute du pouvoir autoritaire, particulièrement si elle s’installe dans la durée. Cette contestation démocratique dans la rue et dans tous les espaces publics et les institutions est appelée à se généraliser. Malgré ses moments de reflux, la contestation visant le pouvoir monarchique constitue, à terme, un puissant moyen de le déstabiliser
  • On sait également que la stratégie de participation aux institutions parlementaires et gouvernementales ne peut suffire à elle seule à mettre fin au pouvoir autoritaire. Lorsque les partis présents au parlement et au gouvernement ne rendent pas de comptes aux forces vives de la société dans une situation ou les élections ne constituent pas encore un moment de mise en cause de la responsabilité politique des élus, ce sont des représentants de ces forces vives similaires au mouvement du 20 février qui peuvent instaurer une pression suffisante questionnant cette responsabilité. Un des enjeux est d’assurer un renouvellement des instances dirigeantes des partis politiques progressistes, notamment le Conseil National/ Comité Central qui doivent devenir de réels espaces de reddition des comptes au sein des partis concernant la strategie de démocratisation
  • Pour que la stratégie de démocratisation dispose des chances de réussir, un point de rencontre doit être établi entre d’une part les partis ayant fait le choix de la participation au parlement et au gouvernement, et d’autre part, les mouvements contestataires, notamment le mouvement du 20 février. A un moment donné, les acteurs participants aux institutions doivent prendre en charge les revendications des mouvements agissant en dehors des institutions sans dévoyer son contenu démocratique. C’est ce qui s’est passé en Tunisie dans le second temps de la révolution, et c’est cette relation permanente qui est essentielle tout le temps de la construction de la confiance démocratique après la chute du despotisme. Il est possible d’imaginer dans le cas du Maroc que cette relation entre mouvements contestataires et acteurs démocratiques se construise avant la chute du despotisme.
  • Le second type de clivage qui doit être dépassé est celui de la différence idéologique entre la gauche et le mouvement islamique (le PJD et Al ‘Adl wa Al Ihsane). Une alliance politique est aujourd’hui nécessaire entre la gauche et le mouvement islamique. Une telle alliance entre ces deux forces disposant d’un ancrage populaire réel serait fatale au pouvoir autoritaire. Il ne s’agit pas ici d’abolir les différences entre la gauche et le mouvement islamique ou de mettre fin aux divergences idéologiques, mais de construire une alliance politique permettant de mettre fin à l’autoritarisme. Dans un second temps, une fois les règles du jeu démocratique solidement établies, ces projets idéologiques seront en compétition pour gouverner et disposer du pouvoir réel dans le cadre de l’alternance et le respect de l’adversaire démocratique

Friday, March 11, 2011

Il ne faut pas que l’approche sécuritaire empiète sur les libertés

Interview Al Bayane 

Pour Youssef Belal, professeur de sociologie politique et de relations internationales, président du Conseil consultatif pour les affaires économiques, sociales et culturelles du PPS et membre du Centre d’études et de recherches Aziz Belal, l’approche sécuritaire adoptée par le ministère de l’intérieur et les services compétents doit être plus rationnelle pour ne pas tomber dans les excès et les dépassements. Aussi, selon Belal, le PJD a pris la latitude et l’habitude de dénoncer l’approche sécuritaire du ministère de tutelle.

Al Bayane: Dans la séance des questions orales au parlement mercredi dernier, le Parti Justice et Développement (PJD) a mis clairement en doute la manière de travailler des services de sécurité dans le pays, ce qui a soulevé une vive réaction du ministre de l’Intérieur, Taieb Cherkaoui. Que pouvez-vous nous dire à ce propos ?

Y. Belal : Je pense que le PJD a probablement raison. L’AMDH et d’autres organisations de défense des droits humains ont également jeté la lumière sur les abus. Aujourd’hui, le ministère de l’Intérieur échappe à tout contrôle que ce soit de la part du Premier ministre ou bien de la majorité gouvernementale. Le Parlement mais aussi la société civile doivent pouvoir contrôler l’action de ce ministère.

Al Bayane - Le Maroc se dit prêt en permanence à faire face à tout dépassement de la part des hors la loi qui entravent sérieusement le climat de sécurité dans lequel vit le Maroc. Selon vous, comment cette approche peut-elle se faire sans pour autant tomber dans les excès et les abus de la part des services de sécurité ?

Y. Belal : Effectivement ! il ne faut en aucun cas que l’approche sécuritaire empiète sur les libertés individuelles et collectives des Marocains. On relève plusieurs cas d’abus et des situations où les libertés et les droits humains sont bafoués. Le ministère de l’Intérieur devrait plutôt garantir ces libertés.

Al Bayane - Certains ne comprennent pas ce qu’ils appellent « l’acharnement » du PJD sur les services de sécurité et pourquoi ce parti est si sceptique quant à l’approche sécuritaire adoptée par le ministère de l’intérieur. Quel est votre avis ?

Y. Belal : Le ministère de l’Intérieur ne fait pas toujours preuve d’impartialité à l’égard du PJD mais aussi d’autres organisations politiques ou de la société civile. Assurer la sécurité des citoyens est un droit humain fondamental. Néanmoins, cela doit se faire dans le strict respect des libertés fondamentales et personne ne peut admettre les dépassements et les abus qui nous feraient penser et revenir à des temps révolus.

Écrit par réalisé par : Mohcine Lourhzal 

Le PAM a des difficultés à constituer un pôle de droite cohérent

Interview Aujourd'hui le Maroc, le 16 - 10 - 2009

Youssef Belal estime que le PAM a du mal à rassembler les partis de la droite dans un pôle uni. Il affirme, en outre, que la rationalisation de la vie politique accuse du retard.

ALM : Quelle analyse faites-vous de l'élection de Cheikh Biadillah à la tête de la Chambre des conseillers?

Youssef Belal : Je pense que la victoire de Mohamed Cheikh Biadillah est une victoire en demi-teinte. Cette victoire s'inscrit dans le cadre de la continuité des résultats positifs obtenus par le PAM depuis les élections communales du 12 juin. Mais il faut tout de même garder à l'esprit que l'élection du secrétaire général du PAM à la tête de la deuxième Chambre a eu lieu dans le deuxième tour de l'opération électorale et ce à cause de la concurrence du candidat du RNI, Maâti Benkaddour. Ce qui veut dire que le PAM n'a finalement n'a pas réussi à rallier le RNI.

ALM: Quelle lecture faites-vous de ce constat?

Youssef Belal : Je dirais que le PAM a des difficultés à constituer un pôle de droite qui soit cohérent. Le PAM n'a pas réussi à rallier le RNI de son côté, même s'il est très proche de lui étant donné que ces deux partis partagent la même idéologie et ont une composition sociologique similaire. Le RNI affirme son autonomie et ne veut pas être absorbé purement et simplement par le PAM.

ALM: Quel est l'impact de l'élection du PAM à la tête de la Chambre des conseillers?

Youssef Belal : Certes, cette élection est en mesure de fragiliser davantage la majorité gouvernementale. Mais il faut que les choses soient placées dans leur contexte. Le poste de président de la deuxième Chambre est un poste protocolaire et de représentation.

ALM: Certains observateurs ont qualifié d'absurdité le fait que des partis de la majorité votent pour un membre de l'opposition. Qu'en dites-vous?

Youssef Belal : Actuellement, les frontières entre la majorité et l'opposition ne sont pas clairement définies. C'est un jeu à géométrie variable qui dépend des négociations entre les partis politiques. L'exemple le plus typique de ce constat est l'attitude du Mouvement populaire (MP), avec son va-et-vient entre les deux camps. Ce parti faisait récemment partie de la majorité puis il a rejoint l'opposition. Peu de temps après, il a soutenu le gouvernement Abbas El Fassi après le retrait du PAM de la majorité et on le voit aujourd'hui soutenir la candidature d'un membre de l'opposition à la présidence de la Chambre Haute.

ALM: Justement, comment expliquez-vous cette attitude du MP ?

Youssef Belal : La position du Mouvement populaire est loin d'être une position de principe. On y voit surtout beaucoup d'opportunisme et d'incohérence politique. Il y a dans cette attitude, comme cela a été affirmé par certains observateurs, une sorte d'absurdité et d'incohérence. Ce qui montre, à bien des égards, que la rationalisation de la vie politique accuse du retard. On est encore loin d'une politique qui soit au service de l'intérêt général.

ALM: Certains disent que le PAM arrive toujours à obtenir ce qu'il veut. Cela est-il vrai?

Youssef Belal : Non c'est faux. Le PAM n'arrive pas toujours à avoir ce qu'il désire obtenir. La preuve en est que ce parti n'arrive toujours pas à constituer un pôle de droite qui soit capable de mettre en place une majorité homogène et cohérente. Et qu'il trouve souvent des difficultés à entamer des alliances avec d'autres formations politiques.

ALM: Mais comment peut-on expliquer le fait que le PAM est arrivé à remporter toutes les échéances électorales qui ont eu lieu au lendemain de sa création?

Youssef Belal : Il ne faut pas perdre de vue un élément très important. Le PAM est aux yeux de tout le monde le parti créé par l'ami du Roi. En économie, on parle du concept des anticipations auto-réalisatrices. C'est lorsque des personnes font des paris sur l'avenir, par exemple en Bourse

Par Mohamed Aswab

La lutte contre la pauvreté ne peut se suffire de palliatifs



Interview Al Bayane:

Al Bayane - le premier ministre Abbas El Fassi a affirmé que le gouvernement a réalisé des avancées importantes dans le domaine social à savoir : l'enseignement, la santé et l'habitat et surtout la lutte contre la pauvreté dans notre pays. Comment voyez-vous les réalisations du gouvernement dans ces secteurs ?

Y.Belal : La lutte contre la pauvreté ne peut se suffire de palliatifs. Le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté reste la création d'emplois et la redistribution des richesses grâce à une croissance forte et durable. Or le taux de croissance que nous avons connu n'est pas durable et reste encore tributaire de la pluviométrie et de l'agriculture. Par ailleurs, l'absence de services publics dans les zones rurales pauvres et enclavées maintient de larges couches de la population marocaine dans la pauvreté. L'Etat doit investir massivement en infrastructures et en services publics dans les contrées les plus déshéritées.

Al Bayane- Le premier ministre a déclaré que le gouvernement a réussi à réaliser une amélioration du pouvoir d’achat et des revenus des citoyens. Par contre, beaucoup de Marocains affirment que les plans sociaux élaborés par l'Etat, ne contribuent qu’à élargir encore plus le fossé entre pauvres et riches. Ne pensez-vous pas que les riches sont devenus de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres ?

Y.Belal: De nombreux projets d'investissement servent des intérêts rentiers qui ont été à l'origine de la bulle spéculative dans le secteur de l'immobilier. Ces projets font l'objet d'une sur communication politique et ne sont pas suffisamment articulés à la création d'emplois et à la lutte contre la pauvreté. Ces projets ne sont pas orientés vers les régions pauvres et enclavées du monde rural. En outre, il n'existe pas de véritable politique de redistribution des richesses en faveur des plus pauvres. Ce qui aggrave encore plus les inégalités sociales

Al Bayane- L'habitat insalubre constitue une des priorités du gouvernement. Ce grand chantier est inspiré de la volonté du Roi Mohammed VI. Comment le gouvernement pourra-t-il, selon vous, éradiquer définitivement le fléau des bidonvilles ?

Y.Belal: La lutte contre les bidonvilles n'est pas une fin en soi et renvoie en réalité au problème de l'exode rural et de la ségrégation socio-spatiale. Reloger une famille de 8 personnes dans un appartement de deux pièces de 50 m2 dans des quartiers sans âme, sans espace vert, sans aire de jeux ni terrain de sport, sans maisons de jeunesse, sans bibliothèque, en un mot sans espace d'épanouissement culturel et social, ne résout pas le problème de la ségrégation socio-spatiale et de l'exclusion.

Al Bayane- Le taux de chômage a grimpé à 10 % dernièrement. Comment le gouvernement pourra t-il faire face à ce problème qui bloque tout développement de la société marocaine dans tous les domaines?

Y.Belal: Le marché du travail doit être en mesure de créer suffisamment d'emplois pour les nouveaux arrivants (jeunes diplômés, jeunes déscolarisés) et les chômeurs de longue durée. Une croissance élevée et durable est une condition nécessaire pour la création d'emplois. Il faut asseoir des réformes structurelles à vocation transformationnelle en engageant par exemple une véritable politique industrielle qui ne se contente pas d'une économie de sous-traitance et des centres d'appel.

Écrit par Entretien réalisé par : Mohcine Lourhzal 

L’équation régime autoritaire et développement économique ne marche pas


Interview avec Aujourd'hui Le Maroc - 11-01-2011

Youssef Belal affirme que le Maghreb uni est la seule porte de sortie du sous-développement économique que connaît la région.

ALM : Quelle analyse faites-vous des troubles sociaux en Tunisie ?

Youssef Belal : Certes, la Tunisie connaît un développement économique très en avance par rapport à d’autres pays du Maghreb. Mais, le problème c’est qu’il y a beaucoup de citoyens tunisiens qui sont exclus de ce développement au niveau de plusieurs régions du pays. Aussi, la question qui se pose est celle de savoir pourquoi la représentation politique des mouvements de protestation ne se reconnaît pas et ne se retrouve pas dans des mécanismes politiques étatiques? Pourquoi ces jeunes émeutiers n’ont pas exprimé leurs revendications autrement, c’est-à-dire à travers les instances étatiques? C’est la problématique de la représentation démocratique crédible des citoyens. Et c’est la raison qui explique ce blocage, étant donné que le régime tunisien est probablement l’un des régimes les plus autoritaires. C’est là où résident la faille et la limite de ce système. En effet, l’équation régime autoritaire et développement économique même très avancé ne marche pas. C’est le cas également en Chine. La rupture des liens sociaux dans ces deux pays provient du fait de l’absence de la représentation démocratique de la population.

ALM: Quelle est la solution face à cette situation de blocage ?

Youssef Belal: Le recours à des actes extrêmes repose sur une demande de représentation politique crédible du peuple. La capacité de l’Etat tunisien de produire des richesses est énorme, mais le caractère autoritaire du régime fait que la distribution de ces richesses ne se fait pas équitablement. Face à cette situation, le citoyen mécontent ne disposant pas de députés, ni de partis politiques, estimant que sa voix n’est pas entendue et ses intérêts ne sont pas pris en considération, va recourir à des moyens violents pour se faire entendre. Il faut qu’il y ait un espace de débat politique démocratique à même de servir de canal d’évacuation des tensions pour éviter que les manifestants descendent dans les rues.

ALM: Quel est le lien entre ce qui se passe en Tunisie et les émeutes en Algérie?

Youssef Belal : Bien qu’il y ait une similarité entre les deux cas, l’Algérie a ses propres particularités. La Tunisie a des bases plus solides de développement économique alors que l’Algérie est un Etat rentier. Son économie est basée sur les rentes du pétrole et du gaz naturel. En plus, le citoyen algérien voit que la manne financière importante qui résulte de cette rente est mal gérée. Soit qu’elle est dépensée impertinemment, soit qu’elle est détournée profitant à une caste dirigeante. Le peuple voit, ainsi, que tout cet argent ne profite pas au développement socio-économique, d’où le recours aux moyens extrêmes pour dénoncer cette situation.

ALM: Pensez-vous que l’édification de l’UMA serait en mesure de résorber ce genre de tensions sociales?

Youssef Belal : De manière globale, la construction maghrébine est notre seule porte de sortie du sous-développement économique. C’est indéniable. L’exemple le plus typique est celui de l’Union européenne qui, disposant d’un pouvoir supranational, affecte une partie des richesses produite par les Etats de l’Union aux régions les plus nécessiteuses pour déboucher sur un développement global équilibré. Mais, il ne faut pas mettre la charrue devant les bœufs. C’est l’absence de démocratie dans la région qui gèle ce projet prometteur. Il faut donc que nous ayons des régimes démocratiques, car ce type d’union à caractère supranational va limiter la souveraineté des Etats. Il est temps que l’instrumentalisation du nationalisme prend fin. Il faut qu’il y ait une évolution vers une perspective démocratique post-nationaliste.

Par : Mohamed Aswab

Quel avenir pour la monarchie marocaine ?

Article paru dans Le Monde:

Point de vue
Le Maroc partage les mêmes maux que les autres régimes arabes
LEMONDE.FR | 08.03.11 | 15h59

Intervenus à la suite des révoltes populaires, la chute du régime Ben Ali en Tunisie et la fin de l'ère Moubarak en Egypte ont jeté la lumière sur deux maux des despotes du monde arabe : la cupidité et l'autoritarisme. Le calme relatif dans lequel se sont déroulées les manifestations pacifiques du 20 février et la stabilité qui prévaut au Maroc semblent accréditer la thèse d'une "exception" marocaine. En réalité, la monarchie marocaine partage les mêmes maux que les autres régimes arabes.

Sous Hassan II comme sous Mohammed VI, la fortune de la famille royale a été accumulée dans des conditions loin d'être irréprochables. Présente dans les principaux secteurs (banque, industrie, télécommunications, immobilier), la holding royale ne fait l'objet d'aucun contrôle, et joue de son inscription au cœur du pouvoir pour bénéficier de passe-droits et d'un accès douteux aux marchés publics. Est-il concevable que l'actuel ministre de la justice du gouvernement marocain soit aussi l'avocat personnel du roi, en charge de ses litiges financiers et commerciaux ? Comme l'ont noté les câbles diplomatiques révélés par le site Internet WikiLeaks, le palais et ses serviteurs utilisent les institutions étatiques pour exiger des "rétributions" auprès des milieux d'affaires nationaux et étrangers.

Sur le plan politique, Mohammed VI a maintenu le régime de concentration des pouvoirs dont il a hérité de Hassan II. Alors que le roi règne et gouverne, il n'existe aucun contre-pouvoir institutionnel en mesure de limiter les décisions arbitraires. En s'appuyant sur une légitimité religieuse dévoyée, la monarchie neutralise toute critique dirigée contre l'action du roi. En interdisant toute critique du roi alors qu'il détient le pouvoir suprême, et en refusant toute redistribution des pouvoirs au profit du gouvernement issu des urnes et responsable devant les citoyens-électeurs, le système monarchique accroît les contraintes qui pèsent sur lui.

UN NOUVEAU CONTRAT POLITIQUE

Pourtant, la monarchie ne peut pas continuer à engranger indéfiniment les bénéfices de la sacralité et du patrimonialisme. Si le roi Mohammed VI entend être "moderne", c'est en acceptant de renoncer à l'exercice réel du pouvoir exécutif. Il n'est pas trop tard pour que la monarchie accompagne la transition démocratique en amorçant son propre dessaisissement du pouvoir temporel. Dans le cadre d'une future démocratie représentative, il est tout à fait concevable que la monarchie se consacre à sa fonction religieuse, à l'exclusion de toute intervention dans les décisions gouvernementales. Pour assurer sa survie dans le monde moderne, la monarchie doit se tenir à l'écart des soubresauts des affaires profanes.

Afin que la démocratie représentative puisse voir le jour au Maroc, il est impératif que l'ensemble des acteurs politiques, en relation avec la société civile (syndicats, mouvements représentant les jeunes, les femmes, les Amazighs…), se mettent d'accord sur les perspectives d'avenir en formulant un nouveau contrat politique. La gauche (Parti du progrès et du socialisme, Union socialiste des forces populaires, Parti socialiste unifié), le mouvement islamique (Parti de la justice et du développement, organisation Justice et Bienfaisance), mais aussi les Sahraouis indépendantistes ouverts à des négociations avec un gouvernement marocain démocratique doivent assumer leur responsabilité politique envers les générations présentes et futures.